Présentation du texte : Le bien fondé du commerce négrier français, selon Gérard Mellier, subdélégué de l’intendance de Bretagne (1716)

Présentation :
Le bien fondé du commerce négrier français, selon Gérard Mellier, subdélégué de l’intendance de Bretagne (1716)

 

 

Gérard Mellier (1657-1729), est un homme politique français. Il fût notamment trésorier de France, conseiller général des finances, député du conseil pour les affaires de la compagnie des Indes et maire de Nantes à partir de 1720 jusqu'à sa mort en 1729. Entre 1710 et 1716, il est subdélégué de l'intendance de Bretagne. Le rôle des subdélégué est d'assister l'intendant dans l'administration de sa généralité, c'est-à-dire un gouvernement de province, ici la Bretagne. Le rôle et les tâches du subdélégué dépend beaucoup de la confiance qu'il inspire à l'intendant. Gérard Mellier est entre autres chargé de la réglementation du commerce de la municipalité de Nantes. Il est favorable au commerce triangulaire dont la ville de Nantes via son activité commerciale portuaire est l'une des principales bénéficiaires.

La fin du traité d'asiento avec les Espagnols en 1713, met fin aux activités de la Compagnie de Guinée offrant la possibilité pour d'autres sociétés commerciales de prétendre au commerce d'esclaves. La lettre patente du 26 janvier 1716, donne l'exclusivité du trafic négrier aux villes de Bordeaux, Nantes, La Rochelle et Rouen. Gérard Mellier à beaucoup fait pour l'implantation et le dynamisme du commerce négrier dans le port nantais. C'est dans ce contexte qu'il rédige courant de l'année 1716, un mémoire concernant le statut juridique des esclaves amenés en France. Ce faisant il relaie les inquiétudes des colons de voir leurs esclaves affranchis en touchant le sol métropolitain français ainsi que les prétentions commerciales des armateurs et négociants nantais à pratiquer la traite négrière. Gérard Mellier est un homme influent, ce document est l'un des textes essentiels de la mise en place d'une juridiction spécifique à la condition des esclaves africains dans l'empire français, servant de base à l'édit du Roi concernant l'introduction d'esclave des colonies sur le sol métropolitain français enregistré le 24 décembre de la même année et venant compléter l'édit royal de 1685 dit code noir.

Dans l’extrait proposé Gérard Mellier défend «ce commerce qui par la vénalité des hommes les rend [les esclaves] comparables aux Bestiaux», tout à fait conscient de l’horreur humaine du système d’exploitation esclavagiste ; il propose trois raisons pour justifier l’importance de la pratique et celle de la réglementation du commerce négrier par la France.

Dans le premier paragraphe, l'auteur évoque l'intérêt même du trafic d'esclave pour l'Afrique et les captifs africains. Il est vrai que la traite atlantique se développe sur un système de traite préexistant en Afrique, la traite orientale existe depuis l’Antiquité et la traite intra-africaine existe au moins depuis le XIe siècle. Les empires africains tirant leurs pouvoirs économiques et leurs emprises territoriales en partie du commerce d’esclaves participent activement au développement de la traite. Mais, les européens n’acceptant d’acheter que des captifs Noirs, la mise en servitude des populations internes du continent s’intensifient énormément. Cet argument, que l’esclavage par les occidentaux serait une alternative enviable à un esclavage cruel pratiqué par les Africaines et les Arabes, se retrouve tout au long de la période de la traite et du système d’exploitation esclavagistes dans les discours des européens (colons, négociants, dirigeants etc.). Cette considération n'est généralement pas étoffée d'arguments probatoires et se base sur une vision hiérarchisée des cultures et civilisation humaine, préjugeant de la barbarie des peuples africains.

Pour cela, il est possible de relier les premiers et derniers arguments de l'extrait : celui du progrès pour la christianisation et la civilisation résultant du commerce négrier. En effet, au début du XVIIIe siècle la traite n'est pas justifiée par une hiérarchisation biologique de l'humanité mais bien par une "asymétrie" civilisationelle. Si la souillure de l'esclavage peut nécessiter plusieurs générations pour disparaître, le travail servile est considéré comme civilisateur, il est possible de sauver l'âme des esclaves africains arrachés à leur milieu païen. La Liberté n'est pas considérée comme un droit naturel, mais comme un statut social et juridique privilégié. Il peut donc se transmettre, se gagner ou encore se perdre. Les Africains jugés non-civilisés, car ignorants de la civilisation chrétienne, peuvent alors (selon Gérard Mellier) grâce au travail servile, mériter leur liberté ou au moins leur place au paradis.

Ces considérations morales encadrent l’argument économique, central pour cet auteur dans les raisons d’investir dans le développement de la traite atlantique pour des compagnies françaises (et dans les colonies françaises).

Le trafic négrier est l’un des plus rentables alors, car il nécessite un double troc qui augmente donc deux fois le capital de départ au cour d’un même voyage. La France compte beaucoup sur les mannes des nouvelles ressources (indigo, tabac, café…) pour soutenir sa place dans la course à la conquête du nouveau monde.

Traité d’asiento : les espagnols ne pratique pas la traite négrière directement, ils confient celui-ci à un autre pays (Portugal, Hollande, France, Angleterre, etc.) en échange d’une redevance. Ce type de contrat appelé asiento peut concerner tous types de marchandises. L’asiento relatif au commerce des esclaves africains est concédé au royaume de France entre 1701 et 1713.

Lettre patente : acte législatif émanent du Roi rendant public et opposable à tous un droit, un état, un statut ou un privilège.

Droit naturel : droit que l’on accorde à un individu du fait même de son appartenance à l’humanité sans tenir compte d’aucun autres facteurs (nationalité, sexe, âge, etc.). Ces droits sont considérés comme innés, inaltérables et universellement valables.