Journée d' étude n°1: Droit, statuts et « race » dans l’Atlantique

Atelier STARACO. Les 9 et 10 décembre 2013, à l' Université de Nantes.

 

Présentation

Pendant des siècles, les minorités ont été définies par un statut juridique qui définissait précisément leur place dans la société par rapport aux groupes majoritaires. Le cas le plus connu est celui de l’esclavage, proche de la mort civile, assimilant les individus à des choses ; on sait néanmoins que l’esclave pouvait jouir, le cas échéant, d’une capacité juridique en vertu de la nature juridictionnelle (et donc jurisprudentielle) du droit ancien. Les minorités libres, qu’elles soient religieuses, « raciales » ou ethniques, étaient également définies par des droits particuliers qui précisaient les incapacités dont elles étaient frappées, et les privilèges éventuels qui les protégeaient en tant que mineurs juridiques, comme les Indiens de l’Amérique espagnole. Elles étaient souvent tenues pour étrangères à la nation, comme les mulâtres dans tous les empires transatlantiques – ce qui en retour, comme l’a montré Linda Colley pour la Grande-Bretagne, contribuait à définir les contours de l’identité de nations européennes comme blanches et européocentrées. Le moment des premières décolonisations (États-Unis, Haïti, Amérique ibérique) aboutit à des situations contrastées, qu’il conviendrait de comparer : à la suppression pure et simple du droit colonial à Saint-Domingue répond le maintien, et même le durcissement, du régime esclavagiste aux États-Unis, au Brésil et à Cuba. Malgré l’interdiction britannique de la traite (1807), l’Afrique voit culminer le commerce des esclaves au XIXe siècle. En Amérique espagnole, le démantèlement des statuts juridiques des Indiens et des libres de couleur aboutit à l’expansion rapide de la citoyenneté, nuancée par la réintroduction républicaine de statuts particuliers pour les indigènes et le maintien de l’esclavage jusque dans les années 1850. Les abolitions suscitent même la réintroduction de statuts particuliers, fortement discriminatoires, basés sur le coolie trade ou les contrats d’engagement – assimilable à des formes cachées d’esclavage puisque certains étaient, le cas échéant, extensibles à la descendance (Antilles françaises).

Il s’agit donc de suivre la mise en place d’un droit destiné à définir le statut, les obligations et les incapacités des minorités en éclairant l’origine de ces systèmes normatifs et leur évolution dans le temps. Cette perspective de longue durée, comparative, doit s’attacher aux transformations des formes de discrimination légale pour en établir la généalogie jusqu’à nos jours. Mais l’étude des lois n’est pas suffisante, comme l’a amplement montré l’histoire sociale. Il faut comprendre comment les sujets individuels ou collectifs font usage du droit comme d’une ressource stratégique dans leurs pratiques quotidiennes comme dans les situations exceptionnelles, et comment ces pratiques redéfinissent les normes par leur insertion dans la jurisprudence. Cette dialectique a été bien étudiée dans le cas de la libération des esclaves à Cuba. La prise en compte des usages de la loi complexifie ainsi le tableau des discriminations en signalant les espaces de négociation où, d’une certaine façon, la règle peut être remise en question : l’on sait combien les minorités ont eu recours aux tribunaux pour faire valoir (et donc faire reconnaître) des droits face à leurs maîtres ou patrons, jouant de la protection des autorités publiques contre les élites locales.

Une autre thématique importante consiste à comparer la manière dont les différentes cultures juridiques des espaces impériaux et nationaux affrontent la question de la hiérarchisation des sujets de droit par la race et la couleur. Elle se révèle d’autant plus complexe que dans un même lieu, plusieurs logiques juridiques peuvent coexister, se confronter ou s’associer. Sur le plan chronologique, on peut se demander comment l’apparition de la codification moderne, et la distinction de plus en plus nette entre droit civil et common law, affectent la définition de l’esclavage et de la discrimination par la race. C’est ici que le dialogue entre les spécialistes des différents systèmes de droit présents dans le monde atlantique se révèle précieux.

 

Programme

Introduction

 

Clément Thibaut, Introduction journée d'étude "Droit, statuts et Race dans l'Atlantique"

 

Noirs, Indiens, Métis et Libres de couleur : Définition des statuts et droits dans le monde atlantique

 

Luis Mora Rodriguez, "L'indien: quel statut dans la vision européenne savante?"
Boris Jeanne, "Du métissage sans métis aux métissages revendiqués-la Nouvelle-Espagne de la première modernité"
Laura Giraudo, "Un caractère spécial ou une situation particulière: la continuité a-historique dans l'indigénisme."
Discussion communications de Luis Mora Rodiguez, Boris Jeanne, Laura Giraudo.
Bernard Gainot, "Le statut de la force noire dans les sociétés coloniales antillaises: déclinaisons d'un stéréotypes."
Federica Morelli, "Citoyens ou non citoyens-le statut des libres de couleur dans le monde atlantique (XVIII-XIXe siècles)."
Ariela Gross, "Laws of blood: The Invisible Common Sense of Race in US".
Marie-Jeanne Rossignol, "Les Noirs dans le Vieux Nord-Ouest (1784-1824): Limitation des droits civiques, violence."
Discussion communications de Bernard Gainot, Frederica Morelli, Ariela Gross, Marie-Jeanne Rossignol.

 

Libertés et couleurs dans le long XIXe siècle

 

Margarita Garrido, "Libres de todos los colores-experiencias de venicidad y ciudadania, Nueva Grenada (1780-1830)."
Claire Bourhis Mariotti, "1862 ou la reconnaissance d'Haiti au service de la colonisation."
Daniel Gutierrez, "La stratégie silencieuse ou la révolution de la Terre-Ferme d'après les Pardos."
Discussion communications de Margarita Garrido, Daniel Gutierrez et Claire Bourhis Mariotti.
Françoise Martinez, "Regénérer la Race, politique éducative en Bolivie (1898-1929)."
Pierluigi Cervelli, "Une minorité incertaine: Le cas des Roms en Italie."
Discussion communications de Françoise Martinez et Pierluigi Cervelli.
Commentaire général par Myriam Cottias.

Conclusion

 

Conclusion générale d'Antonio de Almeida Mendes et Clément Thibaud.