Appel à communication - Journées d'études n°5 STARACO-Casa de Velazquez

« Identifier  les  personnes  dans  l’espace  atlantique  ibérique :  entre  contrôle  et  garantie (XVIIe–fin XIXe siècle) »

 

Journées d’études n°5
STARACO/Casa de Velázquez

 9 et 10 avril 2015 à Nantes

 

Historiens et  anthropologues ont engagé depuis plusieurs décennies une réflexion sur  les  procédures  d’identification  des  personnes,  et  la  manière  dont  les  « identités  de  papier » qui en résultent ont pu jouer un rôle dans les techniques de gouvernement et  les parcours biographiques des individus. Les études atlantiques ont tôt mis en évidence leur importance, que ce soit en analysant la pluralité des taxonomies coloniales mises en œuvre lors des phases de la conquête ibérique, en soulignant l’obsession classificatoire, généalogique  ou  savante  portant  sur  les  mondes  coloniaux  du  métissage,  ou  bien  en insistant sur les mécanismes de l’enrôlement, de la fiscalité et du contrôle des mobilités, qu’elles  soient  volontaires  ou  contraintes,  transatlantiques  ou  continentales. L’identification des personnes, qui fait intervenir des « savoirs d’États » hybrides sur les critères pertinents pour décrire et catégoriser le monde social, apparaît bien comme l’un des soubassements d’une domination qui nécessite un contrôle – direct ou à distance - des  individus  selon  leurs  naciones,  castas,  estados  ou  razas.  Mais  elle  constitue  dans certains  cas  une  garantie,  parfois  même  un  recours,  pour  prouver,  pérenniser,  ou accéder à un statut, tant dans les secteurs dominants que subalternes de la société. De stimulantes propositions historiographiques sont ainsi venues enrichir ces perspectives en mettant en évidence le rôle des « écritures publiques », dans les stratégies de sortie du statut servile. Où l’on constate que si les « papiers d’identité » sont bien un moyen de rendre lisible des statuts sociaux pour en assurer la stabilisation et la police, ils n’en sont pas moins dans certains cas les « papiers de la liberté ». On ne saurait donc se limiter à une  étude  unilatérale  des  techniques  de  l’identification :  elle  relèvent  bien  d’une interaction  sociale  complexe,  faisant  intervenir  des  acteurs  sociaux  et  des  savoirs multiples et mouvants, et qui bien souvent nécessitent la participation des administrés eux-mêmes,  que  ce  soit  au  nom  d’enjeux  de  reconnaissance,  ou  bien  par  la  mise  en œuvre de multiples stratégies de contournement et de dissimulation.

Ces  journées  d’études  seront  ainsi  l’occasion  de  réfléchir  collectivement  à  ce  que l’administration fait aux personnes, par le biais des techniques et des usages sociaux de l’identification des personnes. Prenant acte des récents développements d’un thème de recherche florissant (notamment dans l’historiographie française et nord-européenne, le courant de la socio-histoire ou une partie de l’anthropologie africaniste), décliné sous l’angle de l’histoire du passeport et du registre civil, des techniques de l’identification policière  et  de  la  « gouvernementalité  écrite »,  il  s’agirait  de  faire  porter  le questionnement  sur  le  terrain  de  l’espace  atlantique  ibérique,  envisagé  sur  la  longue durée.  On  focalisera  donc  l’attention  sur  la  manière  dont  les  pouvoirs,  qu’ils  soient municipaux, ecclésiastiques, judiciaires ou étatiques, documentent les identités sociales, établissent  des  classements,  et  mettent  au  point  des  techniques  de  contrôle  et  de certification  des  « états  civils ».  Que  ce  soit  à  des  fins  militaires,  fiscales, confessionnelles, policières, démographiques… sans d’ailleurs présupposer que chacun de  ces  domaines  du  gouvernement  des  hommes  soient  étrangers  les  uns  aux  autres. Plusieurs  axes  seront  privilégiés,  notamment  pour  mettre  à  l’épreuve  le  modèle  de l’émergence d’un « nouveau modèle de l’identité » au tournant du XVIII e  siècle. Il s’agira tout d’abord de réfléchir aux formes du contrôle social et de gouvernement à distance que les administrations civiles et religieuses assoient par des mécanismes d’assignation identitaire. L’usage des registres, listes, cartas et cédulas, constituent bien les contours d’une bureaucratie de l’état civil, qui doit permettre à des agents de vérifier l’adéquation de  marqueurs  identitaires  jugés  pertinents  avec  une  « mémoire »  de  l’administration, qui  consigne  et  trace  des  limites  entre  ayants-droits.  La  pratique  du  « contrôle  de l’identité » dans un contexte de confusion ou de réélaboration des marqueurs de la raza puis, à l’ère des révolutions atlantiques, des frontières estamentales, ou des allégeances politiques, pourra ainsi retenir notre attention, dans un contexte où l’interconnaissance, la réputation et les enquêtes de voisinage demeurent les formes dominantes du régime de l’identification, avant que ne s’amorce la « révolution identitaire » de la fin du XIXe siècle.  En  identifiant  les  relais  qui  font  fonctionner  l’« État  documentaire »,  pour reprendre un terme forgé, dans des contextes certes différents, par les anthropologues, on pourra faire émerger la manière dont ces pratiques d’enregistrement reconfigurent les  « identités  sociales »  (qui  entrent  parfois  en  dissonance  avec  les  « identités bureaucratiques »),  et  se  demander  comment  elles  sont  sujettes  à  de  multiples appropriations, notamment pour faire valoir des droits et s’émanciper des stigmates de la  servilité  ou  de  « l’impureté ».  De  là,  un  deuxième  aspect  méritera  d’être  travaillé, partant du caractère probatoire des documents d’identité, à savoir celui des stratégies en jeu dans la production documentaire et juridique des statuts. Car tout au long de la période,  administrations  et  juridictions  négocient  plus  qu’elles  n’imposent,  surtout lorsqu’elles  ont  à  faire  à  des  corps  constitués,  et  à  une multitude de  relais  juridiques garants des droits des personnes. Une autre piste sera celle du lien entre identification des personnes et parcours de vie, là aussi en explorant les tensions entre contrôle des mobilités,  négociations  des  statuts,  stratégies  individuelles  et  collectives,  et conformation  des  subjectivités.  L’ensemble  de  ces  propositions  devrait  ainsi  nous amener à prendre au sérieux la matérialité de la documentation sur laquelle bon nombre des études atlantiques s’appuient, sans que les modalités précises de ces techniques de gouvernement fassent l’objet d’un questionnement systématique. Les résonnances avec les enjeux migratoires contemporains ne manqueront sans doute pas d’émerger de cette réflexion  à  la  croisée  d’une  histoire  des  statuts  sociaux  et  du  gouvernement  des personnes et des corps dans l’espace atlantique.